Entretien avec l’architecte Dominique Zanghi

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L’humain au cœur de la démarche. Entretien avec Dominique Zanghi, architecte et directeur de m3 ARCHITECTURE.

Quand on pense « métier d’architecture », on imagine un technicien qui a un ensemble de savoir-faire et qui créerait des espaces en triant les matériaux et en séparant les volumes. Tout l’inverse de la philosophie de Dominique Zanghi, dont le geste initial est de partir des relations avec les personnes : « toujours les personnes » aime-t-il rappeler ! Après tout l’architecture n’est-elle pas aussi une forme symbolique, c’est-à-dire une formalisation parmi d’autres de la pensée, de la culture, de la socialisation et des modes de vie d’une communauté ? Tout un programme en somme, et l’occasion de faire le point sur le parcours d’un architecte passionné qui met l’humain au centre de sa réflexion et de sa démarche.

DOMINIQUE ZANGHI, COMMENT DÉBUTE VOTRE CARRIÈRE D’ARCHITECTE ?

Dominique Zanghi : En 1985, nous remportons un concours avec deux de mes amis : Claude Ciani, qui a arrêté l’architecture depuis, et Philippe Vasey, qui lui continue son chemin avec son bureau. Nous avons obtenu le réaménagement du Jardin Alpin et Parc de la Mairie de Chêne-Bourg. Le défi était de créer un parc innovateur, et qui puisse s’ouvrir à la découverte des enfants et des habitants de la commune. Nous avons créé un bassin – une pataugeoire – comme élément nouveau qui unissait les deux parcs et des par-cours. Et puisque le Parc Floraire est ouvert à tous nous avions connecté cet havre de paix et de nature au territoire. On avait mis en place des parcours qui allaient chercher les habitants vers le tram et qui les emmenaient vers cette mairie qui est un peu désaxée. Et on avait jeté un pont au-dessus de l’autoroute pour aller connecter ce parcours avec les installations sportives de Sous-Moulin.

 

DANS VOTRE FORMATION, QU’EST-CE QUI VOUS A MARQUÉ ?

J’ai commencé en faisant un apprentissage, en 1974. J’ai intégré un excellent bureau. Philippe Joye et André Koenig m’ont donné l’en-vie d’apprendre l’architecture. Avec un CFC, on sait dessiner, on sait construire, on connaît la technique, mais l’architecture proprement dite, les origines et l’aspect théorique, on ne les connaît pas. J’ai recherché comment intégrer une école d’architecture : en réussissant le passage obligé pour une personne qui n’a pas de maturité soit le CMS, le cours spécial de mathématiques de l’EPFL, j’ai pu entrer au département d’architecture.

Les enseignants du DA m’ont donné une rigueur pour la mise en place d’un projet. Le passage d’un concept au projet doit être une démarche très stricte. Plus tard quand j’ai fait mon stage à Rome, les personnes qui avaient eu des stagiaires venant de Suisse disaient : « mais c’est incroyable ce que vous savez déjà faire ! ». Cet enseignement est très valable et très bien reconnu. À l’EPFL j’ai également eu la chance de croiser Mario Botta et Lio Galfetti, et de suivre un atelier avec Álvaro Siza, un architecte contemporain très important. Les enseignements de Mario Bevilacqua et de Jean-Marc Lamunière m’ont beaucoup apporté dans ce parcours.

Il répétait souvent qu’il n’y a que quelques livres très importants pour étudier l’architecture, mais après, il faut se promener dans la ville, il faut lire les livres qui parlent de la vie des gens.

À Rome, dans le cadre de mon stage j’ai également été très marqué par Franco Purini. J’admirais son travail bien sûr, mais l’homme était également riche d’enseignements et de bons conseils : il répétait souvent qu’il n’y a que quelques livres très importants pour étudier l’architecture, mais après, il faut se promener dans la ville, il faut lire les livres qui parlent de la vie des gens. Le livre « Le jour de la chouette » de Leonardo Sciascia ou « Conversazione in Sicilia » d’Elio Vittorini m’ont beaucoup donné d’informations sur la vie des Siciliens dans le cadre de mon diplôme. Ou pour citer plutôt des auteurs qu’on connaît : Guy de Maupassant ou Victor Hugo nous apprennent plus sur la vie de leur époque, que tous les livres de théorie et d’histoire de l’architecture.

Aujourd’hui, je dirais que la chose qui m’intéresse, dans l’architecture, c’est le ressenti de la personne. Comment la dame, l’enfant va vivre l’espace. Nous imaginons un espace, nous mettons un cadre avec la vue sur un site, on propose. Comment il va être perçu et surtout comment ils vont vivre ces lieux, et comment ils vont pouvoir se l’approprier.

La chose qui m’intéresse, dans l’architecture, c’est le ressenti de la personne.

L’approche d’un savoir à partager avec les étudiants a été approfondie pendant quelques années aux côtés de Bruno Marchand à l’ITHA. L’enseignement s’appuyait sur la recherche historique et sur des analyses méthodologiques et rigoureuses. Les publications ont aussi suivi un cadre strict de travail. Les recherches, les analyses doivent aussi suivre un cadre très strict de travail, cette approche alimente aussi mon travail quotidien. Victor Hugo nous apprend plus sur la vie de son époque, que tous les livres de théorie et d’architecture !

 

EST VOTRE SENSIBILITÉ PAR RAPPORT À GENÈVE ?

Genève est, en soi, un carcan, peut-être c’est le côté calviniste qui ressort. Actuellement à Genève, il y a un projet fabuleux qui est le PAV (Praille-Acacias-Vernets). Ce vaste périmètre a été planifié au siècle passé pour accueillir les activités secondaires et d’approvisionnement. Le tertiaire grignote ce site. Or ce site est au cœur de la ville et il y a un fort potentiel. De plus environ 80% des terrains sont dans les mains de l’État. Les droits de superficie bloquent la mutation de ce périmètre. La question fondamentale qui peut créer une modification architecturale, urbanistique et d’utilisation du PAV est avant tout liée à la modification des règles de gestion du sol. Comment les locataires du sol, les propriétaires, les nouveaux investisseurs et les futurs utilisateurs, en un mot la Ville, peut gagner??

D’autres villes prennent l’opportunité d’avoir à la fois des acteurs, des envies et des possibilités de réaliser comme moteur pour initier le changement. Il faut mettre en place une organisation spatiale du territoire, du paysage urbain. Les espaces publics et les volumes bâtis qui définissent ces espaces partagés doivent être conçus en amont. Les PLQ (plans localisés de quartier) avec le temps sont devenus des documents anticipant essentiellement les aspects légaux en sclérosant les édifices et les espaces extérieurs. Dans ce domaine des changements sont en cours. Le dessin des vides doit être défini et être guidé par les pleins.

« Genève autrement », ce n’est pas qu’un slogan.

Les édifices doivent obtenir des plans directeurs des possibilités pour exprimer des architectures libres et innovantes. Ce sont les attentes de la société : il suffit simplement de comparer le processus de la Prime Tower de Zurich, qui a été construite dans un lieu de friche. SPS est propriétaire d’un terrain avec une ancienne usine, la ville de Zurich demande un concours et le projet d’une tour de 125 m au minimum : « et c’est parti on y va, parce que c’est ça qui va permettre d’être le moteur du changement  ». C’est un dialogue qui dit  : « on fait les choses ensemble, et on va gagner ensemble ». Sur cette dynamique, Genève doit prendre exemple sur sa sœur alémanique, en créant des synergies gagnantes.

COMMENT A DÉBUTÉ LA COLLABORATION AVEC m3 GROUPE ?

C’est avant tout le fruit d’une amitié entre Abdallah Chatila et moi. S’il n’y avait pas ce lien, je ne me serais pas embarqué dans cette aventure ! Mais connaissant Abdallah et sachant ce que nous avons vécu précédemment, je n’ai pas eu d’hésitation. Avec m3 je sais que je peux parler d’une certaine qualité qu’on doit défendre sans qu’on me prenne pour un extravagant. Aujourd’hui, quand on met en exergue des notions qui sont celles de créer de la convivialité, de travailler dans le développement durable réel, je ne souhaite qu’appliquer cela. « Genève autrement », ce n’est pas qu’un slogan. Il faut le bâtir, le construire : c’est-à-dire en créant des logements de qualité, des espaces en prolongement avec ces habitations, qui soient à la fois privés, mais aussi communautaires et partagés.

Notre imagination et notre futur doivent inventer des approches différentes pour offrir un cadre de vie plus respectable de notre Terre et de nous.

On doit à la fois s’occuper de la cellule du chez-soi, mais également penser à tout ce qui va autour, voir concrètement ce qu’on peut réaliser en appliquant le concept d’une production locale, c’est-à-dire principalement en termes de ressources humaines et de matériaux. Aujourd’hui la crise virale qui nous affecte profondément va modifier nos relations sociales, notre vision du futur, nos comportements, notre économie, nos modes de vie, et donc l’architecture et l’urbanisme. Il faudra en tirer des leçons pour que demain soit meilleur. Notre imagination et notre futur doivent inventer des approches différentes pour offrir un cadre de vie plus respectable de notre Terre et de nous. Rappelons-nous que l’Empire State Building a débuté sa construction… en 1929 !

A propos de Dominique Zanghi

Dominique Zanghi est né en 1957 en Sicile. De nationalité suisse et italienne. Diplômé en 1978 d’un CFC de dessinateur en bâti-ment, il complète sa formation à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, où il obtient un diplôme d’architecte en 1984. C’est dans cette même école qu’il occupe par la suite le poste d’assistant auprès des professeurs Ch. Gilot et A. Anselmi contribuant aux divers cours, ateliers et projets d’architectures. Entre 1993 et 1999, il est chargé de cours à l’ITHA auprès des professeurs B. Marchand et J. Lucan.

C’est dès 1986 que Dominique Zanghi mène ses activités d’architecte en tant qu’indépendant, créant notamment l’atelier AERA (1986-1999) en collaboration avec les architectes Philippe Vasey et Claude Ciani. De 1999 à 2005, il est également adjoint à la direction du service de l’aménagement du territoire du canton de Vaud.

En 1999, il s’associe à l’architecte Athanase Spitsas avec qui il crée l’atelier d’architecture A. Spitsas et D. Zanghi « AS.DZ Architecture » à Genève, qui a eu jusqu’à plus de 30 collaborateurs.

En 2017 il part pour une nouvelle aventure en créant DZ Architectes SA.
Depuis 2019, Dominique Zanghi a pris la direction de m3 ARCHITECTURE, filiale du groupe m3 fondé par Abdallah Chatila.
Dominique Zanghi est également actif dans le milieu associatif de l’architecture en tant que :

• Membre de la Société suisse des ingénieurs et des architectes (SIA), section genevoise dès 1986.
• Membre du comité de la section genevoise de 1991 à 1999 et du comité groupe des architectes de 1988 à 1997.
• Président de la commission des concours de 1991 à 1992. Membre de la commission de la communication de 1997 à 1999.
• Membre de la Fédération des architectes et ingénieurs de Genève (FAI).
• Président de la commission aménagement et urbanisme entre 2006 et 2009.
• Membre du Registre suisse des architectes et ingénieurs (REG A).
• Inscrit au tableau des mandataires professionnellement qualités du canton de Genève, Fribourg, Neuchâtel, Vaud et Valais.